Sarkozy, l'antichambre et la tragédie

Suzanne Ter-MinassianResponsable de la recherche politique et sociale
mars 06, 2013, 4:36 PM GMT+0

Sarkozy n’a -pas vraiment- annoncé son retour en politique ce matin. Ça n’est pas une surprise, mais c’est une étape.

Un sondage réalisé par YouGov France la semaine dernière révèle que 56% des Français pensent que Sarkozy reviendra ou tentera de revenir en politique en 2013, contre 33% qui pensent le contraire, soit 5 points de plus qu’en Janvier.

Sarkozy bénéficie d’une situation complètement inégalée dans le paysage politique français aujourd’hui. C’est la personne qui recueille de loin le plus d’opinions (positives et négatives) tous les mois, dans le palmarès des personnalités YouGov pour le Huffington Post. (Voir les résultats complets ici), un indice de forte polarisation de l’opinion.

C’est dire que ces 11 mois de silence n’ont pas effrité sa présence dans l’opinion, malgré une actualité au compte-goutte. Comment expliquer une telle polarisation de l’opinion malgré l’absence?

Il y a bien le bilan et les medias mais pas que. Pour utiliser une métaphore, Sarkozy est tout simplement installé dans l’antichambre de la politique.

Une technique piquée à DSK, elle-même piquée à Racine (en passant par Barthes)

Du temps où il était à Washington, et forcé au silence, DSK avait utilisé cette technique, omniprésent sans être jamais là, il était lui-même dans l’antichambre de la politique.

L’antichambre – qui se dit d’ailleurs lobby en anglais – c’est être là sans y être, et apparemment la meilleure façon d’occuper tous les esprits. Un jeu de j’y-suis-presque- mais-pas-tout-à-fait-et-tout-le-monde-se-pose-la-question-de-si-j’y-suis-ou-pas.

Sarkozy a eu le temps d’observer cette technique de près lorsqu’elle était utilisée contre lui. A son tour de l’appliquer. Des petits coups de coude de temps en temps et du silence le reste du temps, pour se maintenir à la bonne distance.

Dans Sur Racine, (1953) Barthes explique la force de l’absence comme moteur tragique et prend l’exemple de Britannicus – qui se déroule dans une antichambre - où toute l’intrigue repose autour de cette dialectique du j’y suis/j’y suis pas.

Sans entrer dans les détails d’un ouvrage très détaillé et un peu trop subtil pour être résumé ici en quelques mots, c’est grosso modo ce qui se passe ici. Chez Barthes il y a en plus quelques histoires de rapport au père assez sympathiques.

Le retour de Sarkozy est donc une tragédie racinienne – au sens le plus stricte, ce qui ne signifie pas que c’est une catastrophe. Mais une des règles de la tragédie classique c’est l’unité de temps. 24h pas plus. Le ressort tragique pourra-t-il tenir jusqu’en 2016 pour Sarkozy, dont on connait la patience ?