"les sondages, ils font rien qu'à nous manipuler"

Suzanne Ter-MinassianResponsable de la recherche politique et sociale
janvier 28, 2013, 2:53 PM GMT+0

Alors que le débat sur le mariage pour tous continue d’occuper l’opinion, une précision sur les sondages s’impose. Sur des sujets aussi brulants et qui divisent autant, il est plus que jamais essentiel de produire des données fiables, et non partisanes, conscients que chacun des acteurs voit dans les sondages et leur évolution une forme de validation.

C’est d’autant plus vrai que le débat sur le mariage pour tous est essentiellement une question de choix : les analyses techniques y ont un poids bien moins important que dans les débats économiques : ici la véritable question est celle du choix. Que veut-on pour la société, et que la société veut-elle ? Sans sondage, difficile de savoir, surtout s’il n’y a pas de référendum.

A première vue, les sondages peuvent parfois apparaitre contradictoires, et on a vite fait de crier à la manipulation de l’opinion. Grands méchants sondeurs.

L’avantage ceci dit, reste que dans une situation aussi polarisée, on fait toujours plaisir à un camp, quoiqu’on dise. Bon, du coup, l’autre camp vous aime un peu moins...

Venons-en aux faits. YouGov a réalisé début janvier un sondage sur le mariage pour tous. Les résultats pourraient, à première vue sembler étonnants : 47% des Français s’y prononcent pour, 41% contre et 12% ne se prononcent pas. Un sondage IFOP réalisé à la même période donnait respectivement 60% et 40%.

YouGov France (27/12- 06/01)Ifop (10/01)

Pour

47%

60%

Contre

41%

40%

Nsp

12%

Non proposé

Comment expliquer que dans l’un des sondages, 60% des Français y sont favorables, et dans l’autre seuls 47% ? La réponse tient en 4 mots : « ne se prononce pas ».

Offrir la possibilité de ne pas se prononcer amène inévitablement à modifier les résultats. Voilà, c’est tout. C’est toute la magie du truc. Si c’est de la manipulation, c’est un peu grossier.

On constate toutefois que les proportions restent différentes, même une fois exclues les personnes n’ayant pas d’avis. Ainsi 53% des personnes ayant exprimé une opinion sont en faveur du mariage pour tous dans le sondage YouGov, contre 60% dans le sondage Ifop. Pourquoi ?

Parce qu’il est impossible de savoir comment les gens auraient répondu si on les avait forcés à exprimer une opinion. Parmi ces 12%, certains auraient répondu qu’ils sont pour, d’autres contre, mais il est difficile de savoir dans quelle proportion – (à moins d’avoir le sondage Ifop sous les yeux, et de savoir faire une règle de trois)

Lorsqu’on ne pose pas la même question, on n’a pas la même réponse. Très bien, mais alors pourquoi proposer ce choix? Effectivement, les résultats sont un peu plus compliqués à présenter, moins clairs. Mais le fait est que les gens n’ont pas toujours un avis sur tout, et ce n’est pas aux sondages de les obliger à en avoir un. Imaginer que 100% de la population a une position bien claire sur la question est parfaitement irréaliste.

Certains sondages visent à prédire les comportements électoraux, dans ces cas-là, il est important de laisser l’option ‘abstention / vote blanc’. Dans l’analyse de l’opinion publique, il est important d’offrir des réponses qui correspondent le mieux possible à ce que les gens pensent spontanément, sinon, on court le risque de déformer leur point de vue. Et ici, 12% des gens pensent spontanément qu’ils ne savent pas.

Plus encore, l’option ‘ne sait pas’ offre une information intéressante. On constate depuis quelques semaines, que les gens ont de plus en plus un avis sur la question, indiquant que le débat est arrivé à maturation. Un mois plus tard, YouGov a reposé la même question dans un sondage. Les gens ne sont désormais plus que 6% à ne pas se prononcer.